Neruda

Fractura  de   Andrés Neuman

On pourrait écrire des pages sur ce livre sans révéler presque rien de son contenu car Fractura n'est pas un roman mais plusieurs romans. Neuman nous entraîne avec le héros Yoshue Watanabe au Japon, celui du nucléaire  d'Hiroshima et Nagasaki mais aussi celui de Fukushima. Les autres étapes dans la vie de ce japonais rescapé d'Hiroshima sont les villes où le conduisent ses études puis sa carrière professionnelle. D'abord Paris dans les années 60, puis New-York dans les années 70, Buenos Aires et enfin Madrid à la fin du 20ème siècle.

Le point commun à toutes ces parties du roman est la mémoire. Mémoire du héros, souvent cachée dans ses silences et mémoire des femmes qui ont partagé sa vie dans les différentes villes. Ce sont elles , à travers leurs souvenirs contés à un journaliste qui enquête sur les survivants du nucléaire qui nous dévoilent la personnalité de Watanabe.

La performance de Neuman est de donner à chacune de ces femmes la voix féminine qui correspond à l'époque historique - largement évoquée quel que soit le pays -, à la nationalité et à l'âge de chacune d'elles au moment de leur rencontre avec Watanabe car bien sûr l'amour de jeunesse à Paris n'est pas celui de la maturité plus ou moins avancée à New-York et Buenos Aires ni celui de l'automne de la vie à Madrid. Ces récits de tranches de vie donnent lieu à des commentaires et des réflexions sur le couple, la société, le sens de la vie, la communication et bien d'autres sujets souvent avec humour, toujours avec beaucoup de pertinence, de réalisme et de sensibilité. 

Les désastres nucléaires sont  les deux pôles de la vie de Watanabe qui permettent de reformer la sphère de cette vie faite de  fractures , comme toutes les vies. L'oubli et la mémoire se combattent pour  recréer l'ensemble  comme le fait avec les porcelaines cassées la technique japonaise qui consiste à recoller les morceaux d'un objet sans cacher complètement les cicatrices.

Beau roman passionnant qui mérite d'être lu et relu !

Nicole

Fractura de Andres Neuman

Ce livre est un monument.
C'est l'histoire d'un homme, de son enfance à la vieillesse.
Cet homme est un miraculé et d'Hiroshima et de Nagasaki.
Il "réussit", professionnellement parlant, dans une multinationale.
L'occasion pour Neuman de nous emmener du Japon à l'Europe et à l'Amérique du Nord et du Sud et de nous raconter cet homme, tantôt directement, tantôt au travers des femmes qu'il a aimées ou qui l'ont aimé.
Au lecteur, Neuman offre, à chaque page ou presque, une réflexion profonde et sensible sur tout ou presque tout : le sens de la vie, le nucléaire, l'amour, le vide, la perte, le travail, la réussite, la communication…
 Plus jeune j'avais trouvé dans Les chemins de la liberté à presque chaque page une question que je pouvais me poser et à la page suivante une réponse de Sartre.
C'est un peu la même chose ici sur d'autres sujets, la vieillesse, le progrès technique, l'évolution des relations amoureuses par exemple. J'ai rarement lu une description de l'horreur d'Hiroshima d'une telle intensité évocatrice. Je n'avais jamais auparavant ressenti avec autant d'acuité les dangers du nucléaire, militaire ou civil et les plaies qu'il a pu laisser sur certaines de ses victimes.
Quand il nous balade aux quatre coins de la planète, il nous y emmène vraiment. Sauf le Japon, j'ai la chance de connaître les différents endroits où il situe son personnage et je m'y suis retrouvé moi-même, de même que je me suis retrouvé dans ses réflexions sur l'âge qui avance …
En bref, rarement un auteur ne m'a autant captivé.

Gabriel

Fractura de Andres Neuman

Ce livre est une somme !

Il raconte la vie d’un certain Yoshié Watanabe, Japonais, depuis la catastrophe d’Hiroshima jusqu’au tsunami de Fukushima. Le récit se fait grâce à une alternance entre le présent de Fukushima, Yoshié est retraité et habite à Tokyo, et les récits de quatre femmes qu’il a rencontrées à différentes époques de sa vie dans des pays différents. En effet le personnage principal a travaillé pour une entreprise dans plusieurs pays à plusieurs moments de sa vie et il y a rencontré des femmes : celles-ci racontent successivement, dans l’ordre chronologique, leur histoire avec Yoshié. Si bien que nous traversons environ 70 ans de l’histoire du monde, avec ses évolutions politiques, écologiques, sociétales ; nous retraçons pour notre propre compte de lecteurs notre propre histoire. Du moins cela a été mon cas. Je me suis reconnue dans toutes ces femmes, aussi différentes l’une de l’autre soient-elles, encore que l’on reconnaisse bien dans leur discours et leur récit le style aiguisé et le regard percutant et humoristique de l’auteur. Je me suis reconnue aussi dans Yoshié dont le personnage est d’une profondeur psychologique d’autant plus intense qu’elle n’est pas bavarde. Il ne parle pas beaucoup, il est fracturé à l’intérieur. La fracture, je crois, c’est cette expérience inouïe qu’il a vécue en échappant à la bombe le jour même où il entrait dans Hiroshima avec son père, celui-ci ayant été littéralement soufflé par l’explosion et toute sa famille ayant disparu, sauf son oncle et sa tante qui habitaient Tokyo. Ce souvenir restera ancré dans son personnage tout au long du livre, on reviendra toujours dessus, bien qu’à chaque fois de façon différente, quand il vivra avec les quatre femmes de sa vie, et aussi quand il sera seul, retraité, à Tokyo, d’autant plus que Fukushima lui apparaîtra comme un élargissement de la fracture, au point qu’il éprouvera la nécessité de se rendre sur les lieux.

J’ai beaucoup aimé ce travail sur la mémoire, ce « terremoto », ce surgissement de la mémoire dans la fracture de la catastrophe. Yoshié pratique le Kintsugi qui laisse apparaître les réparations des objets cassés avec de la poudre d’or qui en signale les fissures, les fractures. Plus l’objet a de cicatrices et plus il est chargé de beauté. Nous sommes tous faits de ces traces d’or qui nous fracturent. J’aime aussi lorsque Neuman parle de l’ODEUR du passé, des différents rythmes de la mémoire, des différentes sortes de mort et des disparus.

Il y a énormément de sujets dans ce livre, le nucléaire bien sûr, on prend vraiment conscience de ce que furent Hiroshima et Nagasaki (on se rappelle du fameux « tu n’es jamais allé à Hiroshima » de Marguerite Duras), de ce qu’a représenté et représente encore Fukushima. Il y a aussi les évolutions politiques du monde, le rôle de la guerre et des dictatures, la relation entre les êtres humains de différentes nationalités. ET il y a aussi une très belle réflexion sur l’amour, au fil de l’âge, sur la communication entre les amants, surtout quand elle passe par la différence de langues, de belles remarques et anecdotes sur la vie commune et sur la place de l’amour physique et de la sexualité.

Dans ce livre, Neuman touche à l’universel. On regrette de l’avoir terminé.

« Un ultimo deseo :

Poder asir

El aire » (dernière page)

 Marie-Claire MIR

article publié le 27/02/2020

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